Traduire le théâtre européen
L'Europe des Théâtre # 1 (2011)
Eurodram, réseau européen de traduction théâtrale, et la Maison d’Europe et d’Orient organisent la première édition de leur nouvelle manifestation « l’Europe des Théâtres ». L’objectif de ce festival est la promotion de la traduction théâtrale en Europe, par l’organisation de lectures publiques de traductions de pièces de théâtre, accompagnées de rencontres avec des traducteurs et si possible, des auteurs étrangers.
La manifestation se déroule dans différentes villes d’Europe, avec de nombreux événements distincts : on lira des textes du biélorussien Pavel Priajko à Paris, du français Frédéric Sonntag à Copenhague, du macédonien Goran Stefanovski à Tbilissi, de la serbe Biljana Srbljanovic à Prishtina, de la polonaise Malgorzata Sikorski-Miszczuk à Bucarest, du kosovar Jeton Neziraj à Montreuil, du tchèque Zelenka à Madrid, de la macédonienne Zanina Mircevska à Rouen, et de bien d’autres auteurs encore à Angoulême, Athènes, Calais, Durrës, Erevan, Evreux, Genève, Grenoble, Grozny, Istanbul, Kiev, Londres, Minsk, Montpellier, Mostar, Naltchik, Nicosie, Prague, Skopje… Le paysage dessiné sera l’occasion d’un nouvel aperçu de l'état de la traduction en Europe.
Ce premier rendez-vous coïncide avec la transformation du réseau européen de traduction théâtrale (RET), coordonné par la Maison d’Europe et d’Orient. Il s’appelle désormais Eurodram, et n'est plus exclusivement orienté depuis les langues d’Europe de l’Est vers le français. Il devient multilatéral, entre l’ensemble des langues européennes, et tâchera ainsi, sous la houlette de Virginie Symaniec, de favoriser davantage encore la circulation des œuvres hors des grosses industries, de réduire les préjugés envers les théâtres de certaines communautés, de susciter la curiosité du public et des professionnels, et de participer ainsi, à sa mesure, à la construction européenne.
Il existe en effet une longue tradition de traduction théâtrale des langues occidentales entre elles. On peut trouver nombre de traducteurs de talent et d'expérience, qui plus est spécialisés dans le théâtre. Un peu plus loin, traduire du néerlandais ou du danois vers le tchèque ou le slovène commence à ressembler à une mission. Plus loin encore, traduire du letton ou du tchétchène vers le macédonien ou le rromani entre déjà dans le domaine de la militance. Il faut souvent trouver des solutions alternatives, passer par une langue tierce, travailler à quatre mains, prendre des risques, susciter des vocations, assurer un accompagnement...
Mais plus encore que la distance ou la rareté de la langue, c'est trop souvent en termes de sociétés et de civilisations que les problèmes se posent. Certains considèrent encore qu'il existe des grandes et des petites cultures. À titre personnel, je n'oublierai jamais cette directrice d'un théâtre parisien me déclarer au début des années 90 : « le théâtre albanais ? je ne le connais pas et je ne vois pas pourquoi je devrais le connaître. » Ou encore, il y a quelques mois à peine, cette cadre d'une école d'interprétariat se vantant de travailler sur toutes les langues d'Europe : « le biélorussien ? Ah non, c'est inutile, nous travaillons sur le russe. » Le problème est plus général, et survient chaque fois qu'on confond un trait d'union avec une barre de fraction.
Ces questions sont-elles exclusivement relatives à l'institution ? Hélas non. Un rapide sondage chez les metteurs en scène indépendants révèle qu'une bien faible part d'entre eux parle une autre langue, ne serait-ce que le globish. Sont-elles purement hexagonales ? Hélas, non plus. A l'est comme à l'ouest, on reste majoritairement focalisé sur Londres et Berlin. Mais si dans le monde franco-anglo-saxon, on parvient à traduire plus régulièrement les voisins et quelques grands auteurs, fussent-ils lointains, la focalisation de l'est vers l'ouest reste quasi exclusive. Derrière le mur de Schengen, la tendance est à ignorer ses voisins, dans le meilleur des cas.
Il y a quelques temps, je profitais d'un séjour à Istanbul pour faire un tour des scènes alternatives. Par hasard je tombe sur une pièce de « Loula Anagnostaki ». L'orthographe évidemment française, qui met un « ou » là ou le turc transcrirait logiquement un « u » pour le même son, me laisse perplexe. Et comme cette dramaturge fait justement partie du catalogue des éditions l’Espace d’un instant, je m'enquiers des réalités de cette production. C'est bien via le français que la traduction a été faite – sans d'ailleurs en demander l'autorisation au préalable. Aurait-il été si difficile de trouver un traducteur du grec vers le turc ?
Il reste donc bien encore de nombreux projets passionnants à accomplir, dont le public et nos tutelles sauront se réjouir. Combien d'œuvres d'Europe de l'Est sont traduites en espagnol ou en italien ? Quelles chances de traduire un texte macédonien en grec, alors que la Grèce nie jusqu'à l'existence même de la langue macédonienne ? Quel projet passionnant serait pourtant de faire entendre les textes turcs de Chypre dans un théâtre arménien du Karabagh, et réciproquement...
La Maison d'Europe et d'Orient est évidemment de la partie. Il y a 20 ans, grâce au soutien de Pierre Debauche, elle était à l'initiative de la traduction d'un texte de Kasëm Trebeshina, le principal dramaturge albanais dissident : la première traduction d'une œuvre dramatique albanaise en français. Particulièrement depuis 2001 et son projet fondateur des « Petits / Petits », elle a participé à de nombreux projets, tels que l’Anthologie critique des auteurs dramatiques européens de Michel Corvin, organisé des centaines de manifestations culturelles avec des artistes du Québec jusqu'au Turkestan, et traduit et/ou publié plus de 200 œuvres dramatiques. A suivre...
Dominique Dolmieu.
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